An Adventure in Space and Time nous invite à suivre les efforts déterminés des artisans de Doctor Who, qui ont vraiment tout fait pour porter à l’écran un concept aussi bizarre. Et pour célébrer les 50 ans de la série, quel plus bel hommage pouvait être rendu que de réaliser un film sur ces hommes et femmes de l’ombre qui ont contribué à transformer la série sans prétention en un show devenu une institution en Grande Bretagne et qui continue de conquérir un peu plus le monde chaque année qui passe ? A mon sens, rien d’autre n’aurait pu rendre à ce point justice à ceux qui ont fait sortir de terre cette série à partir de rien…
Ce drama fait autant appel à des anecdotes recueillies auprès des techniciens ayant travaillé sur les débuts de la série (ou leurs descendants) qu’à des archives internes de la BBC, le tout étant ensuite assemblé, saupoudré du génie narratif de Mark Gatiss (Sherlock, the Crimson Petal and the White…, et que l’on verra bientôt dans la saison 4 de Game of Thrones), et mis en image. Le résultat est absolument bluffant. S’il est certain que An Adventure in Space and Time est un cadeau d’un fan de la première heure pour les fans de la première heure, les fans plus tardifs (post 2005, donc) ou les parfaits novices pourront également y trouver leur compte parce que ce film n’a pas été conçu comme un oeuvre fermée et hermétique à ceux qui ne possèdent pas une connaissance encyclopédique de l’univers de la série. Ainsi, si vous n’avez vu aucun épisode des classics, c’est l’occasion d’essayer d’y remédier !
Le film débute en 1966 avec William Hartnell (David Bradley – Harry Potter, Broadchurch, the World’s End…) stationné un peu n’importe où en pleine nuit dans la campagne anglaise, et un agent de police qui lui demande de circuler. Dans la lueur de ses phares faiblards, une cabine téléphonique bleue qui n’est pas sans rappeler le TARDIS qu’utilise le Doctor pour voyager dans l’espace et le temps. Regard fixe, comme paralysé, Hartnell met un moment à réaliser que quelqu’un lui parle, et lorsque c’est enfin le cas et que le policier le reconnaît comme étant l’interprète du Doctor, il s’en va rapidement… La présence de la cabine téléphonique sert de lien avec la suite et l’on remonte le temps de 3 ans, laissant là le Hartnell sur le point de quitter la série Doctor Who pour nous intéresser à la manière dont il a rejoint cette belle aventure.
La suite se passe un petit peu avant 1963, avec le directeur du département fiction Sydney Newman (the Avengers, Armchair Theatre…) qui formule clarement le souhait de voir à l’antenne une série de science-fiction qui s’adresserait aussi bien aux enfants qu’aux fans de sport, et qui serait également éducatif. A l’époque déjà, on se demandait d’où il sortait – pour l’anecdote: Sydney Newman est canadien… mais ce n’est pas vraiment le propos – pour prétendre pouvoir réunir autant de critères dans un même format. Tout en se lançant dans l’écriture, Newman pose également deux règles auxquelles il ne dérogera pas: cette histoire ne contiendra ni robots, ni monstres aux yeux globuleux. Le personnage principal est pensé pour avoir la capacité de voyager dans le temps dans une cabine téléphonique bleue, et devra en même temps être une figure d’autorité rassurante – d’où le nom du protagoniste – le Doctor – docteur étant un titre censé rassurer tout le monde, indépendamment de l’âge, de la classe sociale ou des origines des téléspectateurs, parce que tout le monde fait confiance à son médecin.
A une époque où le sexisme rampant est la norme, Sydney Newman décide de confier les rênes de Doctor Who à Verity Lambert, une jeune productrice inexpérimentée mais non moins déterminée, ainsi que la lourde tâche de trouver le visage du protagoniste de la série. Peu prise au sérieux par ceux avec lesquels elle doit travailler, Verity compose néanmoins avec brio et se concentre sur la tâche qui lui a été confiée: trouver un acteur capable d’incarner la synthèse du Magicien d’Oz, de C.S. Lewis, H.G. Wells et du Père Noël (rien que ça). Pour incarner ce curieux personnage, Verity choisit le vieillissant acteur William Hartnell, connu à l’époque pour ses rôles autoritaires et pas toujours très sympathiques, et tente ensuite de le persuader d’accepter ce rôle avec l’aide de son assistant Waris Hussein (Sacha Dhawan). Cette discussion fait l’objet d’une assez longue scène – très drôle – dans laquelle Hartnell a clairement du mal à comprendre le concept de la série et ne manque pas de faire une belle démonstration de son irrascibilité… mais il finit néanmoins par se laisser convaincre par la jeune femme.
Les scènes de tournages de la série sont entrecoupées par des scènes de backstage où l’on apprend comment a été conçu le décor intérieur/extérieur de la première version du TARDIS, comment le générique de la série a été composé, ou encore comment les bruiteurs ont conçu le bruit émis par le TARDIS lorsqu’il apparaît et disparaît. Des scènes au petit goût de documentaire qui se dégustent comme des sucreries, qui suscitent autant d’addiction et de frustration parce qu’on aimerait en avoir plus… mais tout est habilement dosé parce qu’il s’agit d’un téléfilm et non d’une reconstitution pure et dure. Des scènes qui ajoutent un petit côté dramatique, notamment lorsque l’on voit comment la série était considérée à ses débuts comme à peine digne du studio de tournage le plus inconfortable et le moins bien équipé de ceux que possède la BBC, ou encore du peu de considération qu’avaient les concepteurs des décors face aux demandes de Verity. Le tout débouche sur la diffusion du premier épisode de la série le 23 novembre 1963, et l’on pressent l’échec cuisant parce qu’on a pu apercevoir toutes les difficultés en backstage, assister aux diverses sautes d’humeur de l’acariâtre William Hartnell…
Et l’échec est au rendez-vous, parce que Doctor Who fait ses premiers pas à la télévision dans l’indifférence la plus totale quelques minutes après l’annonce de l’assassinat du Président américain John Fitzgerald Kennedy, qui a davantage interpelé les téléspectateurs qu’une série lambda dont personne n’avait encore jamais entendu parler. Un sentiment d’échec qui met en péril l’avenir de la série, puisque Verity a déjà explosé le budget prévu et que tous l’attendent au tournant, à commencer par Sidney Newman, qui lui demande de réécrire intégralement le script de l’épisode 2. Une demande bien vite oubliée lorsqu’on lui présente au moment du tournage les Daleks, nazis de l’espace toujours désireux d’exterminer ceux qui ne sont pas comme eux (point Goodwin atteint à ce moment de la review), et ennemis mortels du Doctor, qui deviendront par la suite les vilains emblématiques de la série.
Je n’ai pas envie de raconter tout le film parce qu’il faut vraiment le voir pour vivre les choses et l’apprécier comme un formibable biopic sur la série Doctor Who. An Adventure in Time and Space, nous montre comment un grand acteur qui s’est enfermé de plus en plus dans son rôle et s’est coupé du monde, estimant que lui seul était à même de comprendre les choses à la perfection, de la même manière qu’il est le seul à croire et à ressentir à ce point en la série. Et plus Hartnell prend du plaisir dans la peau de ce personnage, plus sa notoriété grandit: on le reconnaît dans la rue, les enfants jouent avec lui dans le parc (j’ai beaucoup aimé cette scène), ou encore, sa petite fille le bombarde de questions sur les Daleks, sur le TARDIS et les voyages dans le temps… Tout cela culmine au moment où l’acteur, malade, se révèle incapable d’apprendre ou de prononcer ses propres répliques. Ses facultés déclinent progressivement, rendant Hartnell de plus en plus irascible, colérique et désespéré, parce qu’il sent que ce qu’il décrit lui-même comme le rôle de sa vie est sur le point de lui échapper. On assiste également à l’introduction du concept de régénération du Doctor, à la base pensé pour continuer à exploiter la série malgré le départ de l’acteur détenant le rôle titre.
La performance globale de David Bradley est absolument magnifique, au point que même sans avoir à singer les positions ou la voix véritable de William Hartnell, il parvient à nous faire croire que nous l’avons sous les yeux et que nous sommes dans les 1960’s, pendant le tournage des premiers épisodes de Doctor Who. Jessica Rayne est également bluffante dans le rôle de Verity Lambert, incarnant avec charisme celle qui deviendra par la suite une légende de la télévision.
Il y a quelques années, Doctor Who est entré dans mon coeur et l’a fait battre plus fort. An Adventure in Space and Time s’y est engouffré juste derrière et l’a boursouflé d’émotions multiples – j’ai ri, trépigné… et aussi pleuré – et a manqué de peu de le faire exploser. Pour moi, ce drama écrit par Mark Gatiss est le plus beau cadeau qui pouvait être fait à la série pour pour célébrer son 50ème anniversaire. Bien sûr, comme tous les fans, j’ai apprécié « The Day of the Doctor » (dont on vous a parlé la semaine dernière)… mais An Adventure in Space and Time le surpasse en bien des points. Ce téléfilm aurait pu n’être qu’un effleurement superficiel de la naissance de la série ou une addition sans fin de private jokes accessibles seulement aux puristes. Mais Mark Gatiss en a fait quelque chose de magique et puissant à la fois, bourré à craquer d’humanité et d’émotion autant que de clins d’oeil aux fans de la série.
Article originellement publié sur britishg3eks.net .